vendredi 19 octobre 2012

Manager sans perdre son âme

photo-libre.fr



"Manager sans perdre son âme" est le titre d'un article très intéressant, paru cette année, et dont le sous-titre est "Quand le "réel du travail" des cadres ouvre la voie à des pratiques quotidiennes, alternatives et humanistes" (1). A la suite d'une longue étude, basée notamment sur de nombreux entretiens avec des cadres, les auteurs, Catherine Glée et Frederic Mispelblom Beyer, se sont intéressés aux pratiques réelles des managers qui tentent, avec beaucoup de mal parfois, à préserver leur âme, c'est-à-dire à pratiquer un management humaniste.
Depuis de nombreuses années, les études insistent sur l'importance du rôle des cadres dits "intermédiaires" ou "de proximité", véritables courroies de transmission entre la direction et les collaborateurs, notamment lors des changements organisationnels. Pourtant, ces managers, longtemps icônes du monde de l'entreprise, sont aujourd'hui décriés par de nombreux auteurs (2) et mal-vus par les salariés français, si l'on en croit les études et articles qui paraissent régulièrement sur le sujet. Parallèlement, monte en puissance le thème du "malaise des cadres" : "le métier de manager, avec les fonctions d'encadrement qui lui sont liées, apparaît ainsi comme un métier "impossible"."(p 254) (3). De moins en moins d'autonomie, de plus en plus de contrôle, une pression sans cesse accrue, la fin d'une relative stabilité de carrière... les auteurs se demandent si nous n'assistons pas à la "fin d'un âge heureux". Les cadres, bousculés dans leurs pratiques, dans leurs références intellectuelles, dans la perception d'eux-mêmes et de leur rôle, seraient en quête d'identité.
Pour faire face à cette évolution, loin du cynisme,  ces cadres s'appuient au contraire sur des valeurs fortes, personnelles, et essaient de les faire vivre au quotidien, dans le management de leurs équipes. Les auteurs notent l'apparition de formes de management "où les notions d'entraide, de soutien, de compassion (et) de coopération sont importantes" (p 264). Pour y parvenir, ils doivent interpréter et adapter les procédures, "prendre sur eux" parfois. "Les notions de valeurs, de morale, d'humanité sont présentes dans tous les entretiens. La "morale" conduit à choisir son camp, celui des plus fragiles, à défendre de façon très discrète mais réelle celui qui, dans l'équipe, peut se trouver en difficulté. La "morale" conduit également à avoir une rigueur, une exemplarité qui permet ensuite d'asseoir sa légitimité" (p 266). Cette manière de manager s'appuie sur des bases solides : réflexivité, capacité à prendre du recul, à préparer ses actions, communication... mais aussi une bonne dose d'humour et d'auto-dérision, d'écoute, d'empathie, de solidarité. Ces pratiques individuelles, notent les auteurs, pourraient être rattachées à des mouvements, comme le "slow management", la "responsabilité sociale de l'entreprise" ou le "management européen responsable". Mais bien souvent les cadres, loin des théories -et même si, pour beaucoup d'entre-eux, le management est aussi une activité intellectuelle-, s'évertuent avant tout à manager sans perdre leur âme... et celles des autres (4).

Relatant de nombreux cas vécus, cet article apporte un éclairage réellement intéressant sur le "malaise des cadres" et sur l'évolution du management dans les entreprises.


(1) Glée Catherine, Mispelblom Beyer Frédéric (2012), "Manager sans perdre son âme - quand le "réel du travail" des cadres ouvre la voie à des pratiques quotidiennes, alternatives et humanistes", Revue internationale de Psychosociologie et de Gestion des comportements organisationnels, 2012-vol.XVIII, p. 251 à 273.
(2) voir par exemple Mintzberg Henry (2005), Des managers des vrais, pas des MBA, Ed. d'Organisation.
(3) référence à l'ouvrage de Mispelblom Beyer Frédéric (2010), Encadrer, un métier impossible ?, A. Colin.
(4) clin d'oeil à l'ouvrage de Jean-Louis Fel, Bien dans sa peau sans vouloir celle des autres (Dunod).

lundi 8 octobre 2012

Coopératives et Economie Sociale et solidaire




Du fait de ma formation et d'une mission, j'ai eu l'opportunité d'étudier le domaine des coopératives, et plus globalement à l'Economie Sociale et Solidaire. Je m'intéresse tout particulièrement à ce secteur de l'économie, dans une perspective de gestion et de développement des ressources humaines. Ceci est le premier post sur ce sujet : il s'agit donc avant tout d'une présentation générale. De prochains posts constitueront les bases d'une réflexion sur les pratiques RH dans l'Economie Sociale et Solidaire. Tous ceux qui souhaitent participer à des échange sur ce sujet sont les bienvenus.




The Rochdale Society of Equitable Pioneers

« Historiquement en Europe, la démarche coopérative, construite sur des valeurs de responsabilités personnelles et mutuelles, est considérée et perçue par les coopérateurs comme une réponse à la formation et au développement du mode de production capitaliste »(1). Dès son origine, la coopérative est donc comprise comme une manière de produire, mais aussi de gérer, différente. A Rochedale (GB), W. King (1786-1865) mît en place la première coopérative de consommateurs (Equitable Pioneers). En France, J.-P. Buchez (1796-1865) organisa une coopérative ouvrière de production. J.-P. Beluze (1820-1908) fut, quant à lui, l’initiateur des coopératives d’épargne et de crédit mutuel. Dès lors, le mouvement coopératif est lancé, mais il rencontra de nombreux obstacles avant de pouvoir réellement peser dans le paysage économique.

Aujourd’hui, le mouvement coopératif est implanté partout dans le monde. A tel point que 2012 a été décrétée « Année internationale des Coopératives » par les Nations Unies, reconnaissant ainsi « l’efficacité du modèle coopératif » (2). En Europe, le mouvement coopératif s’étend. Deux pays sont particulièrement en pointe dans ce domaine : l’Italie, avec 41 552 entreprises coopératives recensées, et l’Espagne qui en compte 24 276 (3). La France n’est pas en reste avec 21 000 entreprises coopératives, regroupant 24 millions de membres, employant un million de salariés, pour un chiffre d’affaires de 288 milliards (4). Et des noms connus comme Leclerc, Crédit Agricole, Terrena… Dans les Pays de la Loire, environ 9500 coopératives sont dénombrées (les 2/3 dans le secteur agricole et de crédit), soit 26 000 salariés (5).

Plusieurs types de coopératives existent, généralement classées à partir de deux critères (6) :
. qui est l’associé ?
. quelle est l’activité exercée ?

Ainsi est-il courant de distinguer les types suivants de coopératives :
. les coopératives d’entreprises (les associés sont les entrepreneurs) ;
. les coopératives d’utilisateurs ou d’usagers (les associés sont les utilisateurs des biens et des services produits : coopératives de consommateurs, coopératives scolaires…) ;
. les coopératives de production (les associés sont les salariés) ;
. les coopératives multisociétariales ;
. les banques coopératives.

Une coopérative, quelque soit sa forme, se doit de respecter des principes, édictés dans la Déclaration sur l’Identité internationale des Coopératives (1995), et repris dans le document « 7 valeurs portées au quotidien par les coopératives » (7) :
. « démocratie : les dirigeants sont élus démocratiquement par et parmi les membres. Tous les membres, sans discrimination, votent selon le principe : une personne, une voix » ;
. « solidarité : la coopérative et ses membres sont solidaires entre eux et envers la communauté » ;
. « responsabilité : tous les membres, en tant qu’associés ou en tant qu’élus, sont responsables de la coopérative » ;
. « pérennité : la coopérative est un outil au service des générations présentes et futures » ;
. « transparence : la coopérative a une pratique de transparence à l’égard de ses membres et de la communauté » ;
. « proximité : la coopérative contribue au développement régional et à l’ancrage local » ;
. « service : la coopérative fournit des services et des produits dans l’intérêt de l’ensemble de ses membres en vue de satisfaire leurs besoins économiques et sociaux ».
Rappelons ici que le premier principe est celui de l’adhésion libre et volontaire.

Mouvement coopératif et Economie Sociale et Solidaire (ESS).
« L’économie sociale et solidaire peut être définie comme l’ensemble des activités économiques soumis à la volonté d’un agir démocratique où les rapports sociaux de la solidarité priment sur l’intérêt individuel ou le profit matériel » (Dictionnaire de l’Autre Economie (2005), Desclée de Brouwer, p 303) (8). Née récemment, l’ESS a fédéré et englobé sous une même dénomination diverses pratiques : systèmes d’échanges locaux, commerce équitable, agriculture durable, coopératives… toutes devant s’appuyer sur 6 principes : préoccupations extra-économiques (environnement, justice sociale…), rejet de l’individualisme compétitif, promotion de l’autogestion, intégration des catégories les plus défavorisées, égalité économique, liberté individuelle. L’ESS a donc une tonalité plus politique que le mouvement coopératif en lui-même. En France, l'ESS représente un peu plus de 10% de l'emploi (soit 2.3 millions de salariés), pour 215 000 établissements employeurs (9).Et en ces temps de crise, l'ESS joue à plein son rôle social.



(1) Noumen Robert (2008), « Les coopératives : des utopies occidentales du XIXème aux pratiques africaines du XXème », Revue Française de Gestion, vol.34, n°188-189, p 273.
(2) Le slogan est « Les coopératives, des entreprises pour un monde meilleur » (« Cooperative Entreprises build a better world »).
(3)  Dont la plus célèbre,  Mondragon Corporacion Cooperativa : 84000 salariés répartis dans 20 pays.
(4) Chiffres de 2010 extrait du document « Panorama sectoriel des entreprises coopératives », Editions Coop.fr.
(5) Schéma régional de développement économique des Pays de la Loire, 8 tomes, 2006, 361 p.
(6) ibid.
(7)  www.entreprises.coop/7-principes-coopératifs.html
(8) in Ould Ahmed Pepita (2010), « La solidarité vue par l’économie sociale et solidaire », Revue Tiers Monde 2010/4, n°204, p 181-197.
(9) http://www.entreprises.coop/economie-sociale-et-solidaire.html