vendredi 30 décembre 2011

Culture et changement

 www.photo-libre.fr

Le choc des cultures est une donnée trop souvent sous-évaluée lors des fusions ou rachats d'entreprises. Pas tant dans les grands groupes, où ce genre de problème est connu et les managers formés, que dans les mouvements concernant des entreprises moyennes, ou des rachats de magasins pour en faire une chaîne par exemple. Pour le nouvel arrivant, chargé d'apporter la "bonne parole" du siège, ne pas reconnaître l'existence d'une culture propre à l'entreprise qu'il doit désormais diriger, ni même chercher à la connaître et la comprendre, c'est nier aux salariés toute valeur professionnelle. "On suppose dans la culture l'existence de références sous-jacentes au fonctionnement de l'organisation qui interviennent dans les façons de faire, les décisions et les actions courantes [...] Le premier principe d'application (de la culture au management) consiste donc à reconnaître que la culture intervient dans le management et qu'il faut repérer comment elle opère, quelles sont les références en jeu dans une situation et comment en tirer parti"1. Ne pas en avoir conscience, c'est ériger, dès le départ, un mur d'incompréhension : chaque parti en présence s'appuyant sur des références qui leur sont propres, parfois antagonistes, sans qu'elles ne soient jamais explicites. A cet égard, ne pas avoir conscience de l'existence d'une culture dans son entreprise d'origine, présage mal de l'intégration (même forcée) dans la nouvelle organisation. Dès lors, le management est  censé instaurer un changement de culture (sous-entendu, pour une "meilleure"). Or, ainsi que l'écrit M. Thévenet, "on ne change pas la culture, mais elle change selon la qualité des réponses apportées aux problèmes banals de l'entreprise"2. Lorsque les réponses apparaissent de "mauvaise qualité", voire heurtent de front les références de la culture locale*, le fossé continue de se creuser. Et à l'incompréhension s'ajoute alors la défiance (le "nous n'avons pas les mêmes valeurs" est plus vrai que jamais). Il ne sert à rien de faire appel à des arguments menaçants du type "n'oubliez pas qui vous paie", qui ne font que renforcer le sentiment de défiance, puisque la culture est de l'ordre du symbolique. Face à ce problème, la réponse donnée est souvent la plus simpliste qui soit : les salariés sont réticents ou ont peur du changement. Mais plus qu'une réponse, il s'agit avant tout d'une excuse, d'une tentative de s'exonérer de ses responsabilités (d'une remise en cause de soi) : "il n'y a pas de résistance au changement (...) seulement des acteurs qui ne perçoivent pas l'intérêt qu'ils auraient à changer [...]. Evoquer la résistance au changement laisse croire qu'il existerait un gène universel de réticence au changement [...] chercher à comprendre l'intérêt du changement pour les acteurs, c'est s'interroger et accepter leur approche, leurs représentations, c'est reconnaître leur individualité et leurs valeurs"3. C'est avoir une approche humaine des relations, pas mécaniste ou exclusivement gestionnaire. Arriver avec sa culture d'entreprise, sans avoir conscience de ce que cela implique, et refuser de comprendre la culture de la nouvelle organisation, devient une quasi "faute professionnelle". Nier l'individualité, les valeurs, les représentations, c'est dès le départ rendre difficile un quelconque rapprochement. La nouvelle direction parlera de frein au changement, alors même que le but n'a pas été indiqué et encore moins expliqué, donnant l'impression d'une navigation à vue. Comment les salariés pourraient-ils y voir un/leur intérêt ? Or, dans l'incertitude, on s'accroche à ce qui est (ou paraît) stable : la culture d'entreprise. L'opposition se renforce, de même que la tentation d'imposer par la force la nouvelle culture. Surtout lorsque le temps presse et que les directives font peu de cas des ressentis du terrain. C'est oublier que le changement, du fait de sa nature même,  prend du temps. "Le changement est moins la mise en place de quelque chose de nouveau que le passage d'un certain état à un autre état (...). Le changement est un passage d'un état de compétences, mentalités, représentations, à un autre état de compétences et de représentations. Le vrai processus de changement, c'est celui qui accompagne de l'état A à l'état B et pas celui qui fait comme si A n'existait pas"4. L'action de management doit partir de la réalité de la culture locale, afin d'en exploiter les forces pour traiter les problèmes, ce qui est une forme motivante de reconnaissance. Et par ce biais, en répondant aux problèmes, on agit en retour sur la culture. Le changement (sous-entendu, celui des autres) ne se décrète pas. C'est un processus lent, qui ne part pas de rien : il faut prendre en compte l'existant et le faire évoluer par des réponses appropriées aux problèmes, et en montrant la pertinence du but (donc la réalité de l'intérêt). Les gens ne demandent qu'à croire, à la condition d'être respectés.
Malheureusement, le temps, la pression des résultats, ou tout autre événement (ou excuse), font que ce changement de culture est passé par pertes et profits : on assiste alors à une tentative d'éradication de la culture locale au profit d'une autre, que l'on espère meilleure et adaptée à l'environnement. Mais le résultat est bien souvent le même : une entreprise en crise, où à défaut de changer la culture, on change les hommes : "L'entreprise en crise engage une disqualification sélective des anciens professionnels et injecte dans le jeu social de nouveaux personnels diplômés, recrutés sur le marché externe, rompant ainsi les hiérarchies culturelles traditionnelles et stigmatisant les clivages professionnels et générationnels. L'efficacité de l'entreprise en crise (...) est obtenue par le jeu de la contrainte sociale, de la rupture des communautés professionnelles antérieures, et d'un renouvellement partiel de la population"5. Ce n'est nullement un gage de réussite, seulement une facilité ponctuelle.

* celle de l'entreprise achetée.
1 Maurice Thévenet, La culture d'entreprise, "Que sais-je ?" 2576, PUF, 2010 (6ème ed.), p.82.
2 ibid., p. 86
3 ibid., p. 109
4 ibid., p. 110
5 I.Francfort, R. Sainsaulieu, Les mondes sociaux de l'entreprise, coll. "Sociologie économique", Desclée de Brouwer, 1995.
Voir aussi :
Maurice Thévenet, Audit de la culture d'entreprise, coll. "Audit", Ed. Organisation, 1986.

lundi 12 décembre 2011

Entreprises sans RH (ou l'arroseur arrosé ?)


 photo Andrew B. Myers



La nouvelle n'a pas fait beaucoup de bruit. Certains diront que, pour une fois que l'on ne parle pas des RH, on ne va pas s'en plaindre. Justement, eux le devraient. En effet, et c'est le magazine Liaisons sociales de ce mois de décembre qui l'annonce, les entreprises ont décidé de virer leurs services RH (reprenant un article du Canadian Business : http://www.canadianbusiness.com/article/54587--should-you-fire-your-hr-department). Pour l'instant, cela concerne surtout le Canada.  Toute la fonction RH disparaît, liquidée, externalisée, car "les RH ne sont là que pour confisquer les libertés des gens" (dixit Bruce Poon Tip, P-DG de G Adventures). Je ne connais pas assez le Canada, excepté quelques clichés (les caribous, le sirop d'érable, et quelques chanteurs), pour juger du caractère bénéfique de la mesure. Peut-être que les RH canadiennes étaient-elles effectivement nocives ? Mais, sachant que nous avons toujours quelques années de retard sur nos voisins d'outre-Atlantique, je me demande à quel moment la France sera touchée par ce phénomène (de mode ou pas) ? Je m'interroge aussi sur les réactions que cela susciterait chez nous : "bien fait", "chacun son tour", "l'arroseur arrosé"... Il faut bien reconnaître que le citoyen qui ne connaît les RH qu'à travers les médias doit en avoir une vision plutôt négative. Le plus souvent, actualité oblige, les mots "ressources humaines" sont accompagnés des termes "restructuration", "économies", "licenciements" et "plan de sauvegarde de l'emploi". Il est rare que les médias, non spécialisés, fassent les gros titres sur un plan de formation ambitieux ou un accord d'entreprise valorisant les compétences des salariés et leur employabilité. En ces temps de crise, les Ressources humaines appartiennent plus que jamais au côté obscur de la Force (économique).

lundi 28 novembre 2011

Représentativité syndicale






La loi du 20.08.2008 a mis fin à la présomption irréfragable de représentativité, qui concernait cinq syndicats français (et basée en partie sur l'attitude patriotique durant la Seconde Guerre mondiale), la remplaçant par une représentativité qui devra désormais être prouvée dans les urnes (au niveau des entreprises, des branches, national).
Cette "nouvelle" représentativité s'appuie sur sept critères cumulatifs : respect des valeurs républicaines, indépendance, transparence financière, ancienneté, influence, effectifs d'adhérents et cotisations, audience. Ce dernier critère prend évidemment un caractère symbolique et constitue un événement. "Désormais (...) aucun syndicat ne sera plus présumé représentatif de manière irréfragable. Seuls ses bons résultats aux 1ers tours des élections professionnelles, même si un second tour est organisé et même si le quorum n'a pas été réuni au 1er tour, lui permettront de devenir représentatif ou de le rester" (1). Bien sûr, cette prise en compte des résultats quand bien même le quorum ne serait pas atteint, a fait réagir les opposants à cette loi : comment pourrait être "représentatif" un syndicat ayant obtenu 10% des voix si seulement 1% des salariés sont venus voter ? Sans doute la revitalisation du syndicalisme français passe-t-elle par ce biais.
Cette représentativité "nouvelle formule" va de pair avec de nouvelles conditions de validations des accords collectifs : pour être valable, un accord doit être signé par un ou plusieurs syndicats représentants au moins 30% des suffrages exprimés au premier tour des dernières élections, sans que s'y opposent une ou plusieurs organisations représentants 50% des suffrages exprimés lors de ces mêmes élections. Ce système devait permettre de relancer le dialogue social, avec la bienveillance de l'Etat, mais sans son intervention. Or, constate Yvan Loufrani dans son triptyque (2), la loi n'a pas eu pour le moment les effets espérés : si le nombre des accords collectifs a augmenté après 2008, cela est dû essentiellement aux incitations légales à négocier, sur la "prime exceptionnelle d'intéressement" ou sur l'emploi des seniors, par exemple.
De même, la loi devait permettre aux syndicats de retrouver une audience auprès des salariés, et amorcer une remontée du taux de syndicalisation. En avril 2009, un sondage France-Info/20 minutes donnait les résultats suivants : 60% des salariés français disaient avoir une "assez bonne" ou "très bonne" opinion des syndicats ; mais 73% pensaient, dans le même temps, que les syndicats étaient en perte de vitesse, et 57% que les syndicats n'étaient pas assez représentatifs pour négocier avec l'Etat ou les directions d'entreprises (3) ! Presqu'un an après la loi du 20.08.2008, la situation ne semblait pas devoir beaucoup changer. Il faut reconnaître que la période transitoire, pendant laquelle la loi "fige (...) le paysage syndical dans l'attente des résultats de la première mesure d'audience respective des différentes organisations, à laquelle il sera procédé au niveau des branches et au niveau national interprofessionnel (...) courant 2013" (4) n'arrange rien, donnant l'impression aux salariés que rien ne bouge (ce qui n'est pas réellement le cas au niveau des entreprises). Et surtout, les incertitudes concernant le monde syndical pèsent bien peu au regard des dangers que la crise fait courir aux entreprises, et donc à l'emploi.

(1) www.objectifdroitdutravail.blogspot.com, "La démonstration (scientifique) de la représentativité syndicale en France", 15.02.2009.
(2) www.lecercle.lesechos.fr, Y. LOUFRANI, "La loi du 20.08.2008 : une rénovation de la démocratie sociale en trompe-l'oeil ?" I, II, III, 29-30.08.2011.
(3) cité par P. LAROCHE, Gérer les relations avec les partenaires sociaux, Dunod, 2010.
(4) G. BELIER, H-J LEGRAND, La négociation collective après la loi du 20.08.2008, Liaisons, 2009.

mardi 22 novembre 2011

"Toujours plus" et "Toujours moins", les paradoxes du syndicalisme français



Le syndicalisme français est en cours de renouvellement depuis la loi du 20.08.2008, "portant rénovation de la démocratie sociale" (1). Reprenant les points essentiels de la "Position commune" (2) signée par le Medef et la CGPME d'une part, la CGT et la CFDT d'autre part, il s'agissait, par diverses propositions, de remettre sur pied un syndicalisme ambivalent.
"Toujours plus" (3) de pouvoirs de négociations, sur des sujets de plus en plus complexes, au sein d'organisations de plus en plus réactives face aux changements économiques et sociétaux ;
"Toujours moins" (4) d'adhérents et de militants. En France, le taux de syndicalisation ne dépasse pas les 8% (il est de 74% en Finlande, 55% en Belgique et 27% au Royaume-Uni... la France se classant au dernier rang des pays européens). Avec une forte disparité entre le public et le privé : dans le premier, le taux de syndicalisation est estimé à 15%, pour seulement 5% dans le second. Paradoxalement, bien que toujours moins nombreux, les adhérents, loin de se regrouper, se sont progressivement éparpillés au sein de syndicats divers et opposés les uns aux autres, au fil des scissions. Comme le note J.-D. Simonpoli, "La France est le pays d'Europe où le syndicalisme est le plus faible en nombre d'adhérents, mais le plus fort en nombre d'organisations" (5). Face à cet émiettement, le divorce salariés-syndicats s'est accentué. D'autant plus qu'avec le cumul des mandats des permanents, la présence syndicale dans l'entreprise devenait moins visible. Dès lors, les salariés se sont pris en main, délaissant des structures dans lesquelles ils ne se reconnaissent pas. Plus instruits, et sans doute aussi plus individualistes, ils ont pris le chemin des conseils prud'homaux afin d'y exposer leurs griefs concernant le travail (d'où une croissante judiciarisation des relations de travail). 
Autre particularité : dans tous les pays, il y a corrélation entre le nombre de syndiqués et le nombre de salariés bénéficiant d'une convention collective... sauf en France. Un taux de syndicalisation de 8%, mais un taux de couverture par les conventions collectives de 93% (6). "A quoi bon adhérer à un syndicat ?", s'interroge un salarié français, "puisque les avancées obtenues me seront accordées, syndiqué ou pas". Cependant, ce désengagement pourrait peut-être s'atténuer puisque, désormais, les syndicats représentatifs au sein des entreprises ont la possibilité de signer des accords comprenant des dispositions moins favorables que celles de la branche (sous certaines conditions), qui s'appliqueront pareillement à l'ensemble des salariés des entreprises concernées. De ce fait, la représentativité des syndicats n'est plus un enjeu abstrait et sans conséquence pour le salarié, à condition qu'il en prenne conscience.
La loi du 20.08.2008 et sa mesure "phare", la suppression de la présomption irréfragable de représentativité au profit d'une représentativité exclusivement issue des urnes, doit permettre au fil du temps, une refonte du paysage syndical français, afin de revitaliser le dialogue social, et enrayer la baisse continue du taux de syndicalisation. Pour cela, le syndicalisme doit se considérer comme "un partenaire exigeant et responsable", ce qui nécessiterait, selon J.-D. Simonpoli (7), une professionnalisation des syndicalistes devant négocier, à l'instar de ce qui se passe dans les pays nordiques. Et, au delà de cette loi, que l'Etat reconnaisse les syndicats comme des interlocuteurs sérieux et indispensables, et laisse les partenaires sociaux exercer leurs responsabilités.

(1) loi n°2008-789 du 20 août 2008 "portant rénovation de la démocratie sociale et réforme du temps de travail".
(2) "Position commune du 9 avril 2008 sur la représentativité, le développement du dialogue social et le financement du syndicalisme".
(3) F. de Closets, Toujours plus, Grasset, 1982.
(4) D. Andolfatto, D. Labbé, Toujours moins, déclin du syndicalisme à la française, Gallimard, 2009.
(5) J.-D. Simonpoli, "La nouvelle réglementation sur la représentativité : un pas insuffisant vers la fin de l'émiettement", in la revue "Personnel" n°494, novembre 2008, dossier intitulé "Les relations professionnelles, une nouvelle donne ?".
(6) deux exemples : pour la Finlande, le taux de syndicalisation et le taux de couverture sont respectivement de 74% et de 91% ; au Royaume-Uni, de 27% et 33 % ; avec des écarts plus ou moins importants suivant les pays.
(7) J.-D. Simonpoli, op.cit.

lundi 14 novembre 2011

Encerclement et destin

Leonidas aux Thermopyles, Jacques-Louis David (1814)


"L'inexorable encerclement de l'homme a été préparé de longue date, par les théoriciens qui visent à donner du monde une explication logique et sans faille, et qui progressent du même pas que les développements de la technique. On soumet d'abord l'adversaire à un investissement rationnel, puis à un investissement social, auquel succède, l'heure venue, son extermination. Nul destin n'est plus désespérant que d'être entraîné dans cette suite fatale, où le droit se change en arme".
"Avoir son destin propre, ou se laisser traiter comme un numéro : tel est le dilemme que chacun, certes, doit résoudre de nos jours, mais est seul à pouvoir trancher. La personne est toujours exactement pourvue de la même souveraineté qu'en toute autre période de l'histoire ; peut-être est-elle plus forte que jamais. Car, à mesure que les puissances collectives gagnent du terrain, la personne s'isole des organismes anciens, formés par les siècles, et se trouve seule".
Ernst Jünger, Traité du rebelle - ou le recours aux forêts, (1951).

Deux citations de Jünger pour illustrer la schizophrénie du monde actuel, et donc de l'entreprise devenue "l'antichambre de la dépression nerveuse"(1). Taylorisation et management participatif peuvent être vus comme les deux premières étapes de "l'inexorable encerclement". Serions-nous arrivés à l'heure de l'extermination ? A l'opposé de cette vision pessimiste, la recherche d'un espace de liberté (et d'espoir) existe, afin d'avoir "son destin propre". La fameuse Génération Y en est peut-être l'illustration. S'investir, pour son intérêt propre, dans une entreprise et la quitter dès que celle-ci s'avère trop contraignante ; moduler son adhésion en fonction de ce que celle-ci peut apporter ; s'affirmer en tant qu'individu, tout en étant inséré dans de multiples réseaux... Les Ressources humaines sont à la croisée des chemins et vont devoir s'adapter aux nouveaux modes de consommation de cette génération, qui connaît la crise plus que la croissance, la précarité plus que la stabilité, le pragmatisme plus que les idéologies, mais qui, dans le même temps, s'adapte facilement, s'investit pleinement dans les projets auxquels elle croit, crée de nouvelles solidarités en fonction de ses aspirations (et en change en fonction de ses besoins) et plébiscite l'innovation. La question est donc désormais de savoir si les entreprises (actionnaires, PDG,...) donneront aux DRH la liberté nécessaire et les moyens pour y parvenir.

(1) F. Vassal, "Malaises dans les organisations", in L'individu au travail, L'Harmattan, 2002.

lundi 7 novembre 2011

La fatigue du manager

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"Autre facteur d'inquiétude pour le salarié, la disparition de la figure du "manager protecteur". Lui-même fragilisé, il souffre d'un malaise qui nous semble tout à fait sous-estimé. En effet, il doit "naviguer à vue" au sein d'un certain nombre de paradoxes. On lui demande le plus souvent :
.d'être autonome, mais de référer toute chose à sa hiérarchie pour aval [...] ;
.de prendre ses décisions avec un aval qui ne vient jamais ;
.de prendre des initiatives, tout en passant le plus clair de son temps à faire du reporting sur les moindres détails de sa gestion ou de ses responsabilités ;
.de prétendre à une réflexion stratégique, mais de se cantonner à un rôle de "commercial besogneux" ;
.de mener les hommes avec leadership, mais de ne pas avoir d'états d'âme ;
.de motiver ses troupes pour optimiser la gestion des ressources humaines, mais de ne rien donner en échange ;
.de produire plus vite et mieux, mais avec toujours moins de moyens ;
.d'avoir de la personnalité, mais en faisant preuve de subordination envers l'état-major." *

Les contradictions et tensions, citées dans ce texte, font partie de la fonction de manager. Mais l'exacerbation de celles-ci, jour après jour,  pourrait bien l'amener à la rupture. Déjà, la figure du "manager protecteur" (qui fût aussi de "proximité") est bien pâle. Il faut dire qu'il lui faut, aujourd'hui, avoir des compétences de gestionnaire, de commercial, d'organisateur, mais aussi les vertus d'un leader, d'un "chef de horde" (l'économie étant parfois un monde quelque peu sauvage). Des connaissances de sociologie des organisations, de psychologie du travail et, désormais, de psychodynamique, seraient "un plus". La fatigue des managers de proximité est un sujet finalement assez peu abordé dans la littérature managériale. Sans doute parce que ces "bons soldats" de l'entreprise ont su, jusqu'ici, sauvegarder les apparences. Pourtant, à l'heure de la prévention des risques psychosociaux, et alors même que l'on demande à ces managers d'être partie prenante de cette prévention, il ne serait pas inutile de s'en préoccuper.


* Bénédicte Haubold, Les risques psychosociaux - analyser et prévenir les risques humains
Ed. d'Organisation, 2009 (2ème édition)

mardi 1 novembre 2011

RPS, valeurs et travail

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  Les risques psychosociaux (RPS) sont devenus, en une dizaine d'années, un sujet majeur du monde du travail. Bien que difficile à définir, et parfois à détecter, ils sont aujourd'hui au centre des négociations entre les employeurs et les institutions représentatives du personnel. Sous le terme de RPS, il est d'usage de regrouper les notions de stress, de souffrances au travail, de mal-être, de "burnout"...  Les RPS ont un coût : environ 4 à 5 % du PIB selon les pays (du monde industrialisé). En 2002, la Commission européenne estimait le coût annuel du stress lié au travail à 20 milliards d'euros (pour les 15 membres de l'Union européenne). Au-delà de l'aspect financier, il faut aussi prendre en compte l'évolution de la législation française. Depuis quelques années, les arrêts de jurisprudence ont entraîné un changement important de perspective : désormais, l'entreprise (son responsable) n'a plus seulement une obligation de moyens quant à la prévention des RPS, il a aussi une obligation de résultat. Et comme, dans le même temps, le législateur a une vision extensive des causes des RPS, les responsables des ressources humaines se doivent de comprendre l'origine de ces maux, pour mieux les combattre, avec l'aide de toutes les personnes concernées (salariés, médecine du travail...).
   Parmi ces causes, le conflit valeur/travail me paraît important. Dans notre société, le travail ne constitue pas seulement un moyen de gagner de l'argent, il permet la constitution d'une "identité" professionnelle. Sa construction se fait tout au long d'une carrière. Sa destruction est beaucoup plus rapide et intervient "quand les salariés ont le sentiment de trahir leurs valeurs morales ou leur conscience professionnelle"(1). Alors, le travail de sape commence, insidieusement, devenant de plus en plus difficilement supportable, phagocytant peu à peu la vie personnelle, jusqu'à l'effondrement final. Marianne Prodhomme explique ce douloureux questionnement : "Le sens de son travail et plus largement parfois de sa vie : "A quoi je sers, à quoi je contribue, à quoi suis-je utile ?" ou "à quoi me sert de faire ce travail ?". Les personnes sont là en situation de constater qu'elles exercent une activité sans plus savoir au service de quoi elles le font. Elles s'observent en train de répéter quotidiennement les mêmes gestes, les mêmes actions, mais les finalités de ces actions ne leur apparaissent plus, ou ne leur apparaissent plus comme suffisamment importantes pour avoir l'énergie de continuer. S'installe alors l'usure, ou ce qu'on pourrait qualifier de "déprime professionnelle : chaque acte devient rebutant voire source d'épuisement. Dans d'autres cas ce sont les finalités du travail qui apparaissent soudain à la personne comme en contradiction avec ses propres valeurs et subitement les activités professionnelles deviennent insupportables"(2). Christophe Dejours note que  la complexité toujours plus grande des organisations est une des causes de l'augmentation des RPS car elle peut, dans certains cas, fragiliser l'identité professionnelle : "il est souvent impossible pour les travailleurs de déterminer si leurs échecs procèdent de leur incompétence ou d'anomalies du système"(3).
La difficulté première vient du caractère subjectif des RPS : chaque personne réagit différemment, plus ou moins intensément, à une même contrainte (changement d'organisation, de procédures, par exemple). Elle tient aussi au caractère personnel (voire intime) de l'investissement de chacun dans la construction de son identité professionnelle. Dans son travail de prévention, tout en intégrant l'impératif organisationnel, le responsable RH doit prendre en compte, sans préjugé, l'extrême diversité des situations, que nulle technique "gestionnaire" ne peut restituer.

(1) Guy Lefrand (rapporteur), "Les risques psychosociaux au travail", rapport d'information, Assemblée nationale, mai 2011.
(2) Marianne Prodhomme, "Le bilan de compétences : un observatoire des liens individu-travail", in "L'individu au travail : antagonismes d'une transformation sociale", s.dir. Benoit Raveleau, coll "Logiques sociales", L'Harmattan, 2002.
(3) Christophe Dejours, "Souffrance en France. la banalisation de l'injustice sociale", coll "Points-essais", Le Seuil, 2009 (1ère ed 1998).

dimanche 23 octobre 2011

J'embrasse pas mes chefs !

Le manager de proximité, ce rouage essentiel de l'entreprise, a un problème central, pour ne pas dire existentiel, à résoudre. Ce n'est pas tant le fait de devoir expliquer (et faire adhérer à) des décisions parfois difficiles à accepter, ni même celui de devoir garder intacte la motivation des salariés en ces temps d'incertitudes. Non, son problème majeur, souvent négligé par la littérature managériale, c'est celui de la "juste distance" (1) avec les membres de son équipe. La perception de celle-ci n'est évidemment pas la même pour tous, suivant la conception que chacun se fait de l'organisation d'une entreprise et de l'ambiance devant y régner. "Vous n'avez pas de collègues, mais des collaboratrices", m'affirma-t-on un jour, alors que je parlais de mes "collègues". La nuance intègre ici la notion d'autorité. Le manager de proximité, comme les autres managers, a autorité (légitimée par sa position hiérarchique) sur les membres de son équipe, qui, de ce fait, deviennent des collaborateurs (2). Mais, dans le même temps, le manager de proximité effectue bien souvent, au moins en partie, les mêmes tâches que les membres de son équipe, qui redeviennent alors des collègues. Intuitivement, nous pouvons penser que la "juste distance" recherchée est sensiblement différente avec un collaborateur ou un collègue. D'autant plus qu'au-delà de l'aspect sémantique de la question, entre en jeu l'affectivité de chacun : la nécessaire empathie du manager ne lui épargne ni la sympathie, ni l'antipathie, des hommes et des femmes qu'il a sous sa responsabilité. Il doit faire avec, et être juste avec tous les membres de son équipe. Dès lors, collaborateurs ou collègues, tout cela n'a plus guère d'importance, puisqu'il n'est pas le seul à définir cette juste distance. Les membres de l'équipe y participent aussi, chacun à sa manière, avec sa personnalité. Finalement, qu'il ait des collaborateurs ou des collègues, le manager de proximité est considéré avant tout comme le chef. Et comme le disait une collègue, pardon, une collaboratrice, "Moi, j'embrasse pas mes chefs !". Même à distance ?


(1) je reprends volontairement une partie du titre de l'ouvrage très intéressant de P. Prayez et N. Loraux, intitulé "Julie ou l'aventure de la juste distance", éditions Lamarre.
(2) notons qu'il s'agit d'une distinction très contemporaine, si l'on regarde les définitions du Robert : "collaborer vient du latin "collaborare", travailler avec quelqu'un"  et  "collègue vient du latin "collega", celui qui exerce la même charge".




mardi 18 octobre 2011

"Vous le valez bien"

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  "Un homme tend un billet de 20€.
Il dit :« Qui aimerait avoir ce billet ? » Les mains se lèvent.
Il chiffonne ce billet et demande : « Vous le voulez toujours ? » Les mains se lèvent encore.
Il jette le billet froissé par terre,saute dessus à pieds joints et dit : « Vous le voulez toujours ? »... Et encore, les gens lèvent leurs mains.
Il dit : «Mes amis,vous venez d'apprendre une leçon ! Peu importe ce que je fais avec ce billet, vous le voulez toujours, car sa valeur n'a pas changé. Il vaut toujours 20€."

Plusieurs fois dans votre vie, vous vous serez froissés, rejetés par les gens et les événements. Vous aurez l'impression que vous ne valez plus rien, mais votre valeur n'aura pas changé."

Ceci est un message de Pierre Cantarella, sur son blog "Tous managers..." (cf "liens", ci-contre)

Comme tout est dit, et bien dit, je n'ai rien à ajouter.

jeudi 13 octobre 2011

des RH au patinage

"Nous avons tous, comme dans le patinage artistique, des figures imposées qui nécessitent professionnalisme et analyse. Mais aussi, comme dans le patinage, on attend de nous des figures libres"
I. Béhar.
Pour le RH en formation, l'analogie est "parlante". Même s'il se demande finalement laquelle des deux épreuves est la plus difficile. D'autant que le jury et le public n'ont pas réellement des critères d'appréciation identiques. Ensuite entre sans doute en compte une question de caractère et, non y revenons sans cesse, de valeurs personnelles. Faire en sorte que les fonctions techniques n'effacent pas totalement pas les relations humaines, est un combat de tous les jours. Et faire en sorte que le lieu de travail devienne à la fois un lieu d'épanouissement et de performance, individuelle et collective, c'est un beau projet. Avec ou sans patin ...

vendredi 7 octobre 2011

Apprendre




Chaque soir, je m'astreins à faire le point sur ce que j'ai appris dans la journée. Et, pour tout vous dire, je ne me rappelais pas que l'on pouvait apprendre autant de choses en une semaine. Pas seulement des apprentissages concrets, réutilisables de façon presque mécanique mais, bien plus, des expériences, des leçons de vie et des visions, sur l'homme, sur le travail ou l'entreprise. De celles qui redonnent de l'envie et de l'énergie.
Je me pose les questions suivantes : qu'adviendrait-il si chaque salarié entreprenait la même démarche ? Si chaque fin de semaine, il décidait de mettre au clair ce qu'il avait appris au cours de celle-ci. Est-ce que le rôle de l'entreprise, des RH plus particulièrement, ce n'est pas de faire en sorte que cette page ne reste pas blanche (ou le moins souvent possible) ?