mardi 26 mars 2013

Le manager traducteur









Jour d'entretien. Parcours personnel, expériences professionnelles... et cette question : "Pour vous, c'est quoi manager ?".

Bien sûr, il y a de multiples façons d'y répondre (voir certains posts précédents), mais la lecture récente d'un article, intitulé "Le rôle de traduction du manager -entre allégeance et résistance" (1), fournit une base de réflexion intéressante.
Être un manager, c'est intégrer une réalité complexe, variant d'une organisation à l'autre, où les qualités demandées aujourd'hui pourront paraître désuètes demain. A ce propos, les auteurs rappellent fort justement la formule de Watson et Harris : "l'opacité sociale du management". Nous pourrions y ajouter le célèbre "Encadrer, un métier impossible" (Mispelblom Beyer F.). "Entre acteur autonome et courroie de transmission, la conception que se font les acteurs et que diffuse la hiérarchie du rôle des managers dans l'organisation n'est pas stable" (p 72). L'ambigüité du positionnement du manager masque aussi, parfois, l'incapacité de la hiérarchie à trancher la question de son rôle au sein de l'entreprise. "Force de proposition", certes, mais pour qui ? Pour ses collaborateurs seulement ? Ou aussi pour sa hiérarchie, avec l'assurance d'être écouté ? Avec quelle latitude d'action et de décision envers les "parties prenantes" ? "Les managers intermédiaires interprètent et font exister (la) stratégie, contribuent à la construire dans leurs conversations et leurs interactions. Ils créent du sens (sensemaking) et le communiquent à leur entourage (sensegiving)" (p75). Les managers sont les plus exposés aux fameuses "injonctions paradoxales", supportant la pression des objectifs ou des demandes des collaborateurs (et parfois des non-dits de la stratégie mise en place). Face à cette situation, comment réagit le manager ?
C'est ici qu'intervient le concept du "manager traducteur", après un petit détour par la Théorie de la régulation sociale de Jean-Daniel Reynaud. Selon cet auteur, une organisation est en mutation permanente, se "dé" et "re" construisant au fil des événements. "Cette construction repose sur la régulation conjointe, processus collectif de production et de transformation des règles qui prend en compte la régulation de contrôle émanant des autorités supérieures et la régulation autonome produite par les exécutants, le groupe se fixant lui-même un certain nombre de règles" (p 76). Le manager est le pivot de cette régulation. Dès lors, la traduction "consiste à articuler des logiques contradictoires, à leur donner du sens, à les intégrer au sein d'un cap flexible et évolutif en fonction des pressions subies et des ressources développées pour résister à ces pressions" (p 77). 3 processus sont alors à l'oeuvre :
- le processus interpersonnel, destiné à favoriser un partage affectif et cognitif, et dans  lequel "traduire c'est protéger les subordonnés des pressions qui viennent de la hiérarchie ou des clients" (p 80) ;
- le processus organisationnel, où le manager met en place une stratégie de résistance aux attentes des subordonnés et de la hiérarchie afin de garder une marge de manoeuvre ;
- le processus stratégique et symbolique, par lequel le manager construit du sens et le "met en scène" afin d'emporter l'adhésion.
A travers ces trois processus, chacun peut voir des écueils émerger. Tout d'abord, la structure organisationnelle ne permet pas toujours la mise en oeuvre de ces espaces d'autonomie. La culture de l'entreprise est de ce point de vue essentielle. Ensuite, si la capacité à "gérer son stress" est souvent demandée, celle consistant "à savoir prendre du recul", lors de situations complexes, semble moins valorisée. Elle est pourtant tout aussi importante.Enfin, "manager" serait donc tenir un rôle, et "le manager" serait par conséquent un acteur. Ce qui peut, dans des contextes de crise, amener doucement à la manipulation et heurter "l'idéal de transparence" (p 82) si souvent revendiqué.
Finalement, "le rôle du traducteur paraît être un rôle que les managers développent au fur et à mesure qu'ils accroissent leur expérience, leur compréhension des rouages de l'organisation" (p 83). Le manager doit donc durer et endurer pour parvenir à un niveau satisfaisant de compétences. De la même façon, "au vu de ces analyses, il semblerait que la capacité des organisations à accepter les éléments de résistance soit un facteur d'efficacité organisationnelle" (p 84). L'image de l'entreprise selon laquelle tous les salariés, du directeur à l'employé, iraient dans le même sens, solidaires, ne serait donc pas la bonne. Peut-être, mais comment rendre cette résistance constructive ?

L'idée d'un "manager traducteur" est donc fertile en questionnements (2). Toutefois, si "traduttore, traditore" (3), le manager joue alors sa propre partition, remontant et descendant des informations adaptées à ses propres objectifs (ce qui ne veut pas dire qu'elles sont mauvaises pour l'organisation). De ce fait, la volonté de transparence et d'éthique, mise en avant par nombre d'entreprises, risque d'être sérieusement limitée.



(1) Desmarais C., Abord de Chatillon E, "Le rôle de traduction du manager -entre allégeance et résistance", Revue Française de Gestion, 2010/6, n°205, p71-88.
(2) je reviendrais plus en détail sur la riche théorie de la régulation sociale ultérieurement.
(3) "traduire, c'est trahir" ou "traducteur, traître".

lundi 18 mars 2013

RH, PME & TTP

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Si la crise actuelle fait ressortir de façon dramatique la saignée des emplois dans les grandes entreprises, objet de l'attention des médias, il ne faut cependant pas oublier que 60% environ de l'emploi est dû aux PME-PMI. Or, force est de reconnaître que les mesures prises semblent oublier ce fait, alors même qu'elles aussi subissent durement la crise. Cela est d'autant plus dommageable que les PME, faute de moyens, n'ont  pas toujours anticipé les conséquences de cette crise, ni en terme d'effectifs, ni en terme de mobilité ou d'employabilité : dès lors le licenciement apparait comme étant la seule alternative. Les ressources humaines apparaissent bien souvent comme la dernière pierre, ajoutée à un édifice solidement consolidé avec les fonctions commerciales (ou de production), financières, logistiques... L'argument avancé par les responsables de PME est qu'un RH coûte, sans que le "retour sur investissement" soit visible. Pourtant, comme toute entreprise, la PME ne peut pas négliger cet aspect essentiel. Une solution semble émerger depuis une dizaine d'années, sans s'imposer cependant : le Travail à Temps Partagé pour la fonction RH. "Le TTP renvoie aux nouvelles formes d'organisation du travail, vise à apporter des compétences aux PME, et peut se pratiquer sous plusieurs statuts juridiques"*. En effet, le responsable RH peut partager son temps dans plusieurs entreprises : il peut être multisalarié, être salarié d'un groupement d'employeurs ou bien encore être "porté" (portage salarial). Grâce à ces dispositifs, la souplesse nécessaire aux PME est préservée, tout en leur donnant accès aux compétences qui leur sont nécessaires : formalisation des procédures RH, sécurisation des contrats de travail, suivi des accords de branche, mise en place de formation adaptée, GPEC... C'est aussi un moyen, pour les responsables de PME, de montrer à leurs salariés qu'ils se préoccupent d'eux, et pas seulement dans les périodes difficiles.

* VILETTE Marc-André, "Gérer autrement les RH en PME : convergence en Travail à Temps Partagé et TIC", Management & Avenir, 2008/12, n°16, p 47-65.