lundi 28 novembre 2011

Représentativité syndicale






La loi du 20.08.2008 a mis fin à la présomption irréfragable de représentativité, qui concernait cinq syndicats français (et basée en partie sur l'attitude patriotique durant la Seconde Guerre mondiale), la remplaçant par une représentativité qui devra désormais être prouvée dans les urnes (au niveau des entreprises, des branches, national).
Cette "nouvelle" représentativité s'appuie sur sept critères cumulatifs : respect des valeurs républicaines, indépendance, transparence financière, ancienneté, influence, effectifs d'adhérents et cotisations, audience. Ce dernier critère prend évidemment un caractère symbolique et constitue un événement. "Désormais (...) aucun syndicat ne sera plus présumé représentatif de manière irréfragable. Seuls ses bons résultats aux 1ers tours des élections professionnelles, même si un second tour est organisé et même si le quorum n'a pas été réuni au 1er tour, lui permettront de devenir représentatif ou de le rester" (1). Bien sûr, cette prise en compte des résultats quand bien même le quorum ne serait pas atteint, a fait réagir les opposants à cette loi : comment pourrait être "représentatif" un syndicat ayant obtenu 10% des voix si seulement 1% des salariés sont venus voter ? Sans doute la revitalisation du syndicalisme français passe-t-elle par ce biais.
Cette représentativité "nouvelle formule" va de pair avec de nouvelles conditions de validations des accords collectifs : pour être valable, un accord doit être signé par un ou plusieurs syndicats représentants au moins 30% des suffrages exprimés au premier tour des dernières élections, sans que s'y opposent une ou plusieurs organisations représentants 50% des suffrages exprimés lors de ces mêmes élections. Ce système devait permettre de relancer le dialogue social, avec la bienveillance de l'Etat, mais sans son intervention. Or, constate Yvan Loufrani dans son triptyque (2), la loi n'a pas eu pour le moment les effets espérés : si le nombre des accords collectifs a augmenté après 2008, cela est dû essentiellement aux incitations légales à négocier, sur la "prime exceptionnelle d'intéressement" ou sur l'emploi des seniors, par exemple.
De même, la loi devait permettre aux syndicats de retrouver une audience auprès des salariés, et amorcer une remontée du taux de syndicalisation. En avril 2009, un sondage France-Info/20 minutes donnait les résultats suivants : 60% des salariés français disaient avoir une "assez bonne" ou "très bonne" opinion des syndicats ; mais 73% pensaient, dans le même temps, que les syndicats étaient en perte de vitesse, et 57% que les syndicats n'étaient pas assez représentatifs pour négocier avec l'Etat ou les directions d'entreprises (3) ! Presqu'un an après la loi du 20.08.2008, la situation ne semblait pas devoir beaucoup changer. Il faut reconnaître que la période transitoire, pendant laquelle la loi "fige (...) le paysage syndical dans l'attente des résultats de la première mesure d'audience respective des différentes organisations, à laquelle il sera procédé au niveau des branches et au niveau national interprofessionnel (...) courant 2013" (4) n'arrange rien, donnant l'impression aux salariés que rien ne bouge (ce qui n'est pas réellement le cas au niveau des entreprises). Et surtout, les incertitudes concernant le monde syndical pèsent bien peu au regard des dangers que la crise fait courir aux entreprises, et donc à l'emploi.

(1) www.objectifdroitdutravail.blogspot.com, "La démonstration (scientifique) de la représentativité syndicale en France", 15.02.2009.
(2) www.lecercle.lesechos.fr, Y. LOUFRANI, "La loi du 20.08.2008 : une rénovation de la démocratie sociale en trompe-l'oeil ?" I, II, III, 29-30.08.2011.
(3) cité par P. LAROCHE, Gérer les relations avec les partenaires sociaux, Dunod, 2010.
(4) G. BELIER, H-J LEGRAND, La négociation collective après la loi du 20.08.2008, Liaisons, 2009.

mardi 22 novembre 2011

"Toujours plus" et "Toujours moins", les paradoxes du syndicalisme français



Le syndicalisme français est en cours de renouvellement depuis la loi du 20.08.2008, "portant rénovation de la démocratie sociale" (1). Reprenant les points essentiels de la "Position commune" (2) signée par le Medef et la CGPME d'une part, la CGT et la CFDT d'autre part, il s'agissait, par diverses propositions, de remettre sur pied un syndicalisme ambivalent.
"Toujours plus" (3) de pouvoirs de négociations, sur des sujets de plus en plus complexes, au sein d'organisations de plus en plus réactives face aux changements économiques et sociétaux ;
"Toujours moins" (4) d'adhérents et de militants. En France, le taux de syndicalisation ne dépasse pas les 8% (il est de 74% en Finlande, 55% en Belgique et 27% au Royaume-Uni... la France se classant au dernier rang des pays européens). Avec une forte disparité entre le public et le privé : dans le premier, le taux de syndicalisation est estimé à 15%, pour seulement 5% dans le second. Paradoxalement, bien que toujours moins nombreux, les adhérents, loin de se regrouper, se sont progressivement éparpillés au sein de syndicats divers et opposés les uns aux autres, au fil des scissions. Comme le note J.-D. Simonpoli, "La France est le pays d'Europe où le syndicalisme est le plus faible en nombre d'adhérents, mais le plus fort en nombre d'organisations" (5). Face à cet émiettement, le divorce salariés-syndicats s'est accentué. D'autant plus qu'avec le cumul des mandats des permanents, la présence syndicale dans l'entreprise devenait moins visible. Dès lors, les salariés se sont pris en main, délaissant des structures dans lesquelles ils ne se reconnaissent pas. Plus instruits, et sans doute aussi plus individualistes, ils ont pris le chemin des conseils prud'homaux afin d'y exposer leurs griefs concernant le travail (d'où une croissante judiciarisation des relations de travail). 
Autre particularité : dans tous les pays, il y a corrélation entre le nombre de syndiqués et le nombre de salariés bénéficiant d'une convention collective... sauf en France. Un taux de syndicalisation de 8%, mais un taux de couverture par les conventions collectives de 93% (6). "A quoi bon adhérer à un syndicat ?", s'interroge un salarié français, "puisque les avancées obtenues me seront accordées, syndiqué ou pas". Cependant, ce désengagement pourrait peut-être s'atténuer puisque, désormais, les syndicats représentatifs au sein des entreprises ont la possibilité de signer des accords comprenant des dispositions moins favorables que celles de la branche (sous certaines conditions), qui s'appliqueront pareillement à l'ensemble des salariés des entreprises concernées. De ce fait, la représentativité des syndicats n'est plus un enjeu abstrait et sans conséquence pour le salarié, à condition qu'il en prenne conscience.
La loi du 20.08.2008 et sa mesure "phare", la suppression de la présomption irréfragable de représentativité au profit d'une représentativité exclusivement issue des urnes, doit permettre au fil du temps, une refonte du paysage syndical français, afin de revitaliser le dialogue social, et enrayer la baisse continue du taux de syndicalisation. Pour cela, le syndicalisme doit se considérer comme "un partenaire exigeant et responsable", ce qui nécessiterait, selon J.-D. Simonpoli (7), une professionnalisation des syndicalistes devant négocier, à l'instar de ce qui se passe dans les pays nordiques. Et, au delà de cette loi, que l'Etat reconnaisse les syndicats comme des interlocuteurs sérieux et indispensables, et laisse les partenaires sociaux exercer leurs responsabilités.

(1) loi n°2008-789 du 20 août 2008 "portant rénovation de la démocratie sociale et réforme du temps de travail".
(2) "Position commune du 9 avril 2008 sur la représentativité, le développement du dialogue social et le financement du syndicalisme".
(3) F. de Closets, Toujours plus, Grasset, 1982.
(4) D. Andolfatto, D. Labbé, Toujours moins, déclin du syndicalisme à la française, Gallimard, 2009.
(5) J.-D. Simonpoli, "La nouvelle réglementation sur la représentativité : un pas insuffisant vers la fin de l'émiettement", in la revue "Personnel" n°494, novembre 2008, dossier intitulé "Les relations professionnelles, une nouvelle donne ?".
(6) deux exemples : pour la Finlande, le taux de syndicalisation et le taux de couverture sont respectivement de 74% et de 91% ; au Royaume-Uni, de 27% et 33 % ; avec des écarts plus ou moins importants suivant les pays.
(7) J.-D. Simonpoli, op.cit.

lundi 14 novembre 2011

Encerclement et destin

Leonidas aux Thermopyles, Jacques-Louis David (1814)


"L'inexorable encerclement de l'homme a été préparé de longue date, par les théoriciens qui visent à donner du monde une explication logique et sans faille, et qui progressent du même pas que les développements de la technique. On soumet d'abord l'adversaire à un investissement rationnel, puis à un investissement social, auquel succède, l'heure venue, son extermination. Nul destin n'est plus désespérant que d'être entraîné dans cette suite fatale, où le droit se change en arme".
"Avoir son destin propre, ou se laisser traiter comme un numéro : tel est le dilemme que chacun, certes, doit résoudre de nos jours, mais est seul à pouvoir trancher. La personne est toujours exactement pourvue de la même souveraineté qu'en toute autre période de l'histoire ; peut-être est-elle plus forte que jamais. Car, à mesure que les puissances collectives gagnent du terrain, la personne s'isole des organismes anciens, formés par les siècles, et se trouve seule".
Ernst Jünger, Traité du rebelle - ou le recours aux forêts, (1951).

Deux citations de Jünger pour illustrer la schizophrénie du monde actuel, et donc de l'entreprise devenue "l'antichambre de la dépression nerveuse"(1). Taylorisation et management participatif peuvent être vus comme les deux premières étapes de "l'inexorable encerclement". Serions-nous arrivés à l'heure de l'extermination ? A l'opposé de cette vision pessimiste, la recherche d'un espace de liberté (et d'espoir) existe, afin d'avoir "son destin propre". La fameuse Génération Y en est peut-être l'illustration. S'investir, pour son intérêt propre, dans une entreprise et la quitter dès que celle-ci s'avère trop contraignante ; moduler son adhésion en fonction de ce que celle-ci peut apporter ; s'affirmer en tant qu'individu, tout en étant inséré dans de multiples réseaux... Les Ressources humaines sont à la croisée des chemins et vont devoir s'adapter aux nouveaux modes de consommation de cette génération, qui connaît la crise plus que la croissance, la précarité plus que la stabilité, le pragmatisme plus que les idéologies, mais qui, dans le même temps, s'adapte facilement, s'investit pleinement dans les projets auxquels elle croit, crée de nouvelles solidarités en fonction de ses aspirations (et en change en fonction de ses besoins) et plébiscite l'innovation. La question est donc désormais de savoir si les entreprises (actionnaires, PDG,...) donneront aux DRH la liberté nécessaire et les moyens pour y parvenir.

(1) F. Vassal, "Malaises dans les organisations", in L'individu au travail, L'Harmattan, 2002.

lundi 7 novembre 2011

La fatigue du manager

 www.photo-libre.fr



"Autre facteur d'inquiétude pour le salarié, la disparition de la figure du "manager protecteur". Lui-même fragilisé, il souffre d'un malaise qui nous semble tout à fait sous-estimé. En effet, il doit "naviguer à vue" au sein d'un certain nombre de paradoxes. On lui demande le plus souvent :
.d'être autonome, mais de référer toute chose à sa hiérarchie pour aval [...] ;
.de prendre ses décisions avec un aval qui ne vient jamais ;
.de prendre des initiatives, tout en passant le plus clair de son temps à faire du reporting sur les moindres détails de sa gestion ou de ses responsabilités ;
.de prétendre à une réflexion stratégique, mais de se cantonner à un rôle de "commercial besogneux" ;
.de mener les hommes avec leadership, mais de ne pas avoir d'états d'âme ;
.de motiver ses troupes pour optimiser la gestion des ressources humaines, mais de ne rien donner en échange ;
.de produire plus vite et mieux, mais avec toujours moins de moyens ;
.d'avoir de la personnalité, mais en faisant preuve de subordination envers l'état-major." *

Les contradictions et tensions, citées dans ce texte, font partie de la fonction de manager. Mais l'exacerbation de celles-ci, jour après jour,  pourrait bien l'amener à la rupture. Déjà, la figure du "manager protecteur" (qui fût aussi de "proximité") est bien pâle. Il faut dire qu'il lui faut, aujourd'hui, avoir des compétences de gestionnaire, de commercial, d'organisateur, mais aussi les vertus d'un leader, d'un "chef de horde" (l'économie étant parfois un monde quelque peu sauvage). Des connaissances de sociologie des organisations, de psychologie du travail et, désormais, de psychodynamique, seraient "un plus". La fatigue des managers de proximité est un sujet finalement assez peu abordé dans la littérature managériale. Sans doute parce que ces "bons soldats" de l'entreprise ont su, jusqu'ici, sauvegarder les apparences. Pourtant, à l'heure de la prévention des risques psychosociaux, et alors même que l'on demande à ces managers d'être partie prenante de cette prévention, il ne serait pas inutile de s'en préoccuper.


* Bénédicte Haubold, Les risques psychosociaux - analyser et prévenir les risques humains
Ed. d'Organisation, 2009 (2ème édition)

mardi 1 novembre 2011

RPS, valeurs et travail

www.photo-libre.fr

  Les risques psychosociaux (RPS) sont devenus, en une dizaine d'années, un sujet majeur du monde du travail. Bien que difficile à définir, et parfois à détecter, ils sont aujourd'hui au centre des négociations entre les employeurs et les institutions représentatives du personnel. Sous le terme de RPS, il est d'usage de regrouper les notions de stress, de souffrances au travail, de mal-être, de "burnout"...  Les RPS ont un coût : environ 4 à 5 % du PIB selon les pays (du monde industrialisé). En 2002, la Commission européenne estimait le coût annuel du stress lié au travail à 20 milliards d'euros (pour les 15 membres de l'Union européenne). Au-delà de l'aspect financier, il faut aussi prendre en compte l'évolution de la législation française. Depuis quelques années, les arrêts de jurisprudence ont entraîné un changement important de perspective : désormais, l'entreprise (son responsable) n'a plus seulement une obligation de moyens quant à la prévention des RPS, il a aussi une obligation de résultat. Et comme, dans le même temps, le législateur a une vision extensive des causes des RPS, les responsables des ressources humaines se doivent de comprendre l'origine de ces maux, pour mieux les combattre, avec l'aide de toutes les personnes concernées (salariés, médecine du travail...).
   Parmi ces causes, le conflit valeur/travail me paraît important. Dans notre société, le travail ne constitue pas seulement un moyen de gagner de l'argent, il permet la constitution d'une "identité" professionnelle. Sa construction se fait tout au long d'une carrière. Sa destruction est beaucoup plus rapide et intervient "quand les salariés ont le sentiment de trahir leurs valeurs morales ou leur conscience professionnelle"(1). Alors, le travail de sape commence, insidieusement, devenant de plus en plus difficilement supportable, phagocytant peu à peu la vie personnelle, jusqu'à l'effondrement final. Marianne Prodhomme explique ce douloureux questionnement : "Le sens de son travail et plus largement parfois de sa vie : "A quoi je sers, à quoi je contribue, à quoi suis-je utile ?" ou "à quoi me sert de faire ce travail ?". Les personnes sont là en situation de constater qu'elles exercent une activité sans plus savoir au service de quoi elles le font. Elles s'observent en train de répéter quotidiennement les mêmes gestes, les mêmes actions, mais les finalités de ces actions ne leur apparaissent plus, ou ne leur apparaissent plus comme suffisamment importantes pour avoir l'énergie de continuer. S'installe alors l'usure, ou ce qu'on pourrait qualifier de "déprime professionnelle : chaque acte devient rebutant voire source d'épuisement. Dans d'autres cas ce sont les finalités du travail qui apparaissent soudain à la personne comme en contradiction avec ses propres valeurs et subitement les activités professionnelles deviennent insupportables"(2). Christophe Dejours note que  la complexité toujours plus grande des organisations est une des causes de l'augmentation des RPS car elle peut, dans certains cas, fragiliser l'identité professionnelle : "il est souvent impossible pour les travailleurs de déterminer si leurs échecs procèdent de leur incompétence ou d'anomalies du système"(3).
La difficulté première vient du caractère subjectif des RPS : chaque personne réagit différemment, plus ou moins intensément, à une même contrainte (changement d'organisation, de procédures, par exemple). Elle tient aussi au caractère personnel (voire intime) de l'investissement de chacun dans la construction de son identité professionnelle. Dans son travail de prévention, tout en intégrant l'impératif organisationnel, le responsable RH doit prendre en compte, sans préjugé, l'extrême diversité des situations, que nulle technique "gestionnaire" ne peut restituer.

(1) Guy Lefrand (rapporteur), "Les risques psychosociaux au travail", rapport d'information, Assemblée nationale, mai 2011.
(2) Marianne Prodhomme, "Le bilan de compétences : un observatoire des liens individu-travail", in "L'individu au travail : antagonismes d'une transformation sociale", s.dir. Benoit Raveleau, coll "Logiques sociales", L'Harmattan, 2002.
(3) Christophe Dejours, "Souffrance en France. la banalisation de l'injustice sociale", coll "Points-essais", Le Seuil, 2009 (1ère ed 1998).