mardi 1 novembre 2011

RPS, valeurs et travail

www.photo-libre.fr

  Les risques psychosociaux (RPS) sont devenus, en une dizaine d'années, un sujet majeur du monde du travail. Bien que difficile à définir, et parfois à détecter, ils sont aujourd'hui au centre des négociations entre les employeurs et les institutions représentatives du personnel. Sous le terme de RPS, il est d'usage de regrouper les notions de stress, de souffrances au travail, de mal-être, de "burnout"...  Les RPS ont un coût : environ 4 à 5 % du PIB selon les pays (du monde industrialisé). En 2002, la Commission européenne estimait le coût annuel du stress lié au travail à 20 milliards d'euros (pour les 15 membres de l'Union européenne). Au-delà de l'aspect financier, il faut aussi prendre en compte l'évolution de la législation française. Depuis quelques années, les arrêts de jurisprudence ont entraîné un changement important de perspective : désormais, l'entreprise (son responsable) n'a plus seulement une obligation de moyens quant à la prévention des RPS, il a aussi une obligation de résultat. Et comme, dans le même temps, le législateur a une vision extensive des causes des RPS, les responsables des ressources humaines se doivent de comprendre l'origine de ces maux, pour mieux les combattre, avec l'aide de toutes les personnes concernées (salariés, médecine du travail...).
   Parmi ces causes, le conflit valeur/travail me paraît important. Dans notre société, le travail ne constitue pas seulement un moyen de gagner de l'argent, il permet la constitution d'une "identité" professionnelle. Sa construction se fait tout au long d'une carrière. Sa destruction est beaucoup plus rapide et intervient "quand les salariés ont le sentiment de trahir leurs valeurs morales ou leur conscience professionnelle"(1). Alors, le travail de sape commence, insidieusement, devenant de plus en plus difficilement supportable, phagocytant peu à peu la vie personnelle, jusqu'à l'effondrement final. Marianne Prodhomme explique ce douloureux questionnement : "Le sens de son travail et plus largement parfois de sa vie : "A quoi je sers, à quoi je contribue, à quoi suis-je utile ?" ou "à quoi me sert de faire ce travail ?". Les personnes sont là en situation de constater qu'elles exercent une activité sans plus savoir au service de quoi elles le font. Elles s'observent en train de répéter quotidiennement les mêmes gestes, les mêmes actions, mais les finalités de ces actions ne leur apparaissent plus, ou ne leur apparaissent plus comme suffisamment importantes pour avoir l'énergie de continuer. S'installe alors l'usure, ou ce qu'on pourrait qualifier de "déprime professionnelle : chaque acte devient rebutant voire source d'épuisement. Dans d'autres cas ce sont les finalités du travail qui apparaissent soudain à la personne comme en contradiction avec ses propres valeurs et subitement les activités professionnelles deviennent insupportables"(2). Christophe Dejours note que  la complexité toujours plus grande des organisations est une des causes de l'augmentation des RPS car elle peut, dans certains cas, fragiliser l'identité professionnelle : "il est souvent impossible pour les travailleurs de déterminer si leurs échecs procèdent de leur incompétence ou d'anomalies du système"(3).
La difficulté première vient du caractère subjectif des RPS : chaque personne réagit différemment, plus ou moins intensément, à une même contrainte (changement d'organisation, de procédures, par exemple). Elle tient aussi au caractère personnel (voire intime) de l'investissement de chacun dans la construction de son identité professionnelle. Dans son travail de prévention, tout en intégrant l'impératif organisationnel, le responsable RH doit prendre en compte, sans préjugé, l'extrême diversité des situations, que nulle technique "gestionnaire" ne peut restituer.

(1) Guy Lefrand (rapporteur), "Les risques psychosociaux au travail", rapport d'information, Assemblée nationale, mai 2011.
(2) Marianne Prodhomme, "Le bilan de compétences : un observatoire des liens individu-travail", in "L'individu au travail : antagonismes d'une transformation sociale", s.dir. Benoit Raveleau, coll "Logiques sociales", L'Harmattan, 2002.
(3) Christophe Dejours, "Souffrance en France. la banalisation de l'injustice sociale", coll "Points-essais", Le Seuil, 2009 (1ère ed 1998).

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire