mercredi 18 juillet 2012

Entreprise et sport






   Il fut un temps où l'entreprise se concevait comme une armée en ordre de bataille, conquérante évidemment. Peut-être un ultime rappel au fait que nombre de DRH étaient d'anciens militaires de carrière ?
Le caractère martial étant passé de mode, et s'accommodant assez peu au management participatif, le monde de l'entreprise se chercha alors une nouvelle image, alliant esprit d'équipe, dépassement de soi et performances. Le sport apparût comme le vecteur idéal : en interne auprès de collaborateurs souvent investis dans les clubs de leurs communes, mais aussi en externe auprès des clients, des fournisseurs, des actionnaires... "Qu'il fabrique des saucisses, vende des polices d'assurance ou répare des chaudières, tout chef d'entreprise rêve aussi d'inculquer à ses troupes les qualités prêtées aux dieux du stade ou du gymnase" (1). Les sports d'équipe ont naturellement pris l'avantage (football et rugby principalement), mais les sportifs des disciplines dites individuelles ont su, eux aussi, se faire une place.
   Si la force de l'image, de l'exemplarité dans l'effort et du discours, est bien comprise, ou au moins compréhensible des moins sportifs, nous pouvons nous interroger sur l'efficacité de ce rapprochement. Est-elle réelle, concrète, ou symbolique ? Que ressentent les salariés, généralement des cadres, après une conférence d'une "légende vivante du sport" ? Qu'en retiennent-ils ? Et pour le dire clairement, quel retour sur investissement ? Je ne pense pas qu'il y ait beaucoup d'études sur le sujet. Concernant les stages outdoor, Catherine Fourré pense "qu'il s'agit de faire croire que ce que font les cadres durant le stage aura des effets réels lorsqu'ils réintégreront l'entreprise [...] Le succès de la formation se base sur une forme d'accord tacite où chaque partie s'accorde pour jouer le jeu. Tous les acteurs sont gagnants : les cadres qui vivent le stage dans une dynamique de loisir ; les consultants qui légitiment une formation sérieuse sans avoir à évaluer dans l'entreprise ses conséquences ; les entreprises qui conservent des managers satisfaits" (2). Pour ce qui est de la conférence, moment souvent convivial et intéressant (reconnaissons le), c'est une valorisation par l'image qui est attendue, ainsi que l'explique Julien Pierre (maître de conférence, Fac. des sciences du sport, Strasbourg) : "l'intérêt de ce type d'opération est d'abord symbolique. L'intervention d'une star valorise celui qui l'a fait venir et ceux qui l'écoutent. Les salariés sont éminemment fiers, c'est bon pour la culture d'entreprise" (3).
   Au-delà de cet aspect psychologique, se pose une question morale : qu'advient-il de la glorieuse incertitude du sport ? Etre sportif, c'est aussi accepter l'échec, reconnaître que l'autre est meilleur. Lorsque tout a été fait et mis en place pour gagner, et que la défaite survient, il faut l'accepter, l'analyser, et recommencer l'entraînement. Ce qui demande du temps. Or, le monde de l'entreprise ne semble plus avoir le temps. Apprend-on dans ces stages et ces conférences à prendre le temps d'analyser les défaites, à se préparer dans la durée, sans changer d'objectif en cours de route ? Ou ne valorise-t-on que ce qui est relatif à la victoire ?
   Le sport, à travers l'image véhiculée, peut aussi constituer un risque pour l'entreprise. Si Adidas était certainement ravie d'équiper les joueurs français vainqueurs de la Coupe du Monde de football 1998, elle l'était sans doute moins à Knysna, en Afrique du Sud, lors de l'édition 2010. Peut-être Nike, nouveau sponsort,  a-t-elle tremblé quelques instants à Kirsha (Ukraine) en 2012 ? L'image renvoyée par le football n'est sans doute pas la meilleure qui soit, en ce moment, pour le monde des entreprises. Le cyclisme, alliant performances individuelles et esprit d'équipe, avait été, à son époque, un bon vecteur de communication. Avant que les affaires de dopage ne ternissent durablement son image. Le sponsoring induit des risques qui ne sont pas toujours prévisibles. Faire venir un conférencier-sportif semble moins dangereux.Même si les tarifs pratiqués peuvent paraître exorbitant au regard des prestations : de 5000 € à 10 000 € (mais compter 300 000 € pour Z. Zidane). Pour faire fructifier les affaires, nombre d'anciens sportifs reconvertis ont créé leurs cabinets de conseils. Lorsque le sport rejoint l'entreprise... Fort heureusement, les Jeux Olympiques, et l'esprit de Pierre de Coubertin, reviennent bientôt : retour aux valeurs du sport amateur (enfin presque !).
   Quant à Lucius Septimius Flavianus Flavillianus, il est de nouveau sous les feux de la rampe. Pas en tant que champion de lutte et de pancrace, disciplines dans lesquelles il excellait au IIIème siècle de notre ère, mais parce que, fort de ce statut de champion, l'armée romaine l'avait chargé de recruter des soldats devant combattre les Parthes. C'est ce que nous apprend la récente traduction d'un texte de cette époque (4). Comme quoi l'idée de faire appel aux sportifs pour (re)motiver les soldats (de la guerre économique) n'est pas si nouvelle que cela.





(1) BECHAUX Stéphane, "Pourquoi les boîtes sont-elles accros au sport ?", Liaisons sociales n°133, juin 2012, p17.
(2) op.cit., p 19.
(3) op.cit., p 19.
(4) Guerres et Histoire n°7, juin 2012, "L'armée romaine recrutait parmi les stars sportives". Pour ceux que le sujet intéresse, cliquer  ici



 

crédit photos : www.photo-libre.fr et  Timothy R. Nichols

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