mardi 22 novembre 2011

"Toujours plus" et "Toujours moins", les paradoxes du syndicalisme français



Le syndicalisme français est en cours de renouvellement depuis la loi du 20.08.2008, "portant rénovation de la démocratie sociale" (1). Reprenant les points essentiels de la "Position commune" (2) signée par le Medef et la CGPME d'une part, la CGT et la CFDT d'autre part, il s'agissait, par diverses propositions, de remettre sur pied un syndicalisme ambivalent.
"Toujours plus" (3) de pouvoirs de négociations, sur des sujets de plus en plus complexes, au sein d'organisations de plus en plus réactives face aux changements économiques et sociétaux ;
"Toujours moins" (4) d'adhérents et de militants. En France, le taux de syndicalisation ne dépasse pas les 8% (il est de 74% en Finlande, 55% en Belgique et 27% au Royaume-Uni... la France se classant au dernier rang des pays européens). Avec une forte disparité entre le public et le privé : dans le premier, le taux de syndicalisation est estimé à 15%, pour seulement 5% dans le second. Paradoxalement, bien que toujours moins nombreux, les adhérents, loin de se regrouper, se sont progressivement éparpillés au sein de syndicats divers et opposés les uns aux autres, au fil des scissions. Comme le note J.-D. Simonpoli, "La France est le pays d'Europe où le syndicalisme est le plus faible en nombre d'adhérents, mais le plus fort en nombre d'organisations" (5). Face à cet émiettement, le divorce salariés-syndicats s'est accentué. D'autant plus qu'avec le cumul des mandats des permanents, la présence syndicale dans l'entreprise devenait moins visible. Dès lors, les salariés se sont pris en main, délaissant des structures dans lesquelles ils ne se reconnaissent pas. Plus instruits, et sans doute aussi plus individualistes, ils ont pris le chemin des conseils prud'homaux afin d'y exposer leurs griefs concernant le travail (d'où une croissante judiciarisation des relations de travail). 
Autre particularité : dans tous les pays, il y a corrélation entre le nombre de syndiqués et le nombre de salariés bénéficiant d'une convention collective... sauf en France. Un taux de syndicalisation de 8%, mais un taux de couverture par les conventions collectives de 93% (6). "A quoi bon adhérer à un syndicat ?", s'interroge un salarié français, "puisque les avancées obtenues me seront accordées, syndiqué ou pas". Cependant, ce désengagement pourrait peut-être s'atténuer puisque, désormais, les syndicats représentatifs au sein des entreprises ont la possibilité de signer des accords comprenant des dispositions moins favorables que celles de la branche (sous certaines conditions), qui s'appliqueront pareillement à l'ensemble des salariés des entreprises concernées. De ce fait, la représentativité des syndicats n'est plus un enjeu abstrait et sans conséquence pour le salarié, à condition qu'il en prenne conscience.
La loi du 20.08.2008 et sa mesure "phare", la suppression de la présomption irréfragable de représentativité au profit d'une représentativité exclusivement issue des urnes, doit permettre au fil du temps, une refonte du paysage syndical français, afin de revitaliser le dialogue social, et enrayer la baisse continue du taux de syndicalisation. Pour cela, le syndicalisme doit se considérer comme "un partenaire exigeant et responsable", ce qui nécessiterait, selon J.-D. Simonpoli (7), une professionnalisation des syndicalistes devant négocier, à l'instar de ce qui se passe dans les pays nordiques. Et, au delà de cette loi, que l'Etat reconnaisse les syndicats comme des interlocuteurs sérieux et indispensables, et laisse les partenaires sociaux exercer leurs responsabilités.

(1) loi n°2008-789 du 20 août 2008 "portant rénovation de la démocratie sociale et réforme du temps de travail".
(2) "Position commune du 9 avril 2008 sur la représentativité, le développement du dialogue social et le financement du syndicalisme".
(3) F. de Closets, Toujours plus, Grasset, 1982.
(4) D. Andolfatto, D. Labbé, Toujours moins, déclin du syndicalisme à la française, Gallimard, 2009.
(5) J.-D. Simonpoli, "La nouvelle réglementation sur la représentativité : un pas insuffisant vers la fin de l'émiettement", in la revue "Personnel" n°494, novembre 2008, dossier intitulé "Les relations professionnelles, une nouvelle donne ?".
(6) deux exemples : pour la Finlande, le taux de syndicalisation et le taux de couverture sont respectivement de 74% et de 91% ; au Royaume-Uni, de 27% et 33 % ; avec des écarts plus ou moins importants suivant les pays.
(7) J.-D. Simonpoli, op.cit.

2 commentaires:

  1. Vous ne faites pas le lien entre le faible taux de syndicalisation et le fait que la convention collective a en France un effet erga omnes ?

    Ce que vous appelez autre particularité explique le faible taux de syndicalisation et le comportement de free rider.

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  2. Exactement, cette particularité est une des données régulièrement avancée pour expliquer le faible taux de syndicalisation en France. A la différence de certains pays, semble-t-il, où les avancées syndicales bénéficieraient aux salariés syndiqués.

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